Quand le soleil brille [ P ]

Elle approchait . C’était indéniable , je l’entendais . Les humains étaient d’une discrétion ! Néanmoins cela me servit énormément , car sous le coup de la peur , ma vue se brouilla brutalement , redevenant le maelström nuancé de gris que j’avais l’habitude de percevoir quand j’étais captive . Ma vue me permettait de voir les grandes surfaces et les mouvements les plus larges . Rien d’autre . Les sens en éveil , j’entendis ses pas sur une surface dure , qui me semblait être du bis . Le bois composant le pont . Le pont le pont , ou était - il ?
Fouillant les alentours d’un regard vide , je réussis a percevoir sur ce que je supposais être de l’eau , un arc de cercle élégant sur lequel progressait une silhouette verticale . L’humain venait vers moi . Laissant échapper un couinement terrorisé , je me redressais d’un bond , et abandonnant sans regrets ma place explosée , je filais a toute allure me cacher . Oui , je ne savais pas encore . Plongeant sous un buissons épineux , je m’écorchais le museau et les pattes en y frayant un passage , et m’y roulais en boule , incapable de voir le sourire avenant et les gestes doux de l’humain . Ma vue se brouilla davantage et ce fut le soir , total , complet . Aveugle . Haletant , je me roulais en boule en un geste convulsif , espérant de tout cœur que le bipède ne viendrait pas me chercher la ou j’étais . Je ne pourrais alors rien faire , car la mordre c’était la mort . quand dans les premiers temps , j’avais mordu mes divers bourreaux , on m’avait projeté contre les murs , brisé des pattes , saigné par pur plaisir de m’entendre hurler a la mort . J’avais compris mieux que personne que mordre un bipède était une chose a ne jamais , jamais faire . J’avais également compris que je courrais plus vite qu’eux quand ils étaient en voiture lorsque j’étais affolée . Cela me servirait si elle ovulait m’attraper . Serrant les crocs , je mis une patte sur le museau , pressant ma peau veloutée contre mes paupières brûlantes .

Elle approchait .
C’est cette intime conviction qui me poussa a me redresser . A demi assise , courbée comme un bossu , les épines plein les poils et saignant a divers endroits , je me mis a frayer un passage parmi le fatras de ronces , m’écorchant les coussinets jusqu'à ce qu’un flot continu de sang se déverse en permanence . Réprimant un geignement pitoyable , j’y mis complètement la tête , et tentais de sectionnais les tiges épineuses qui me bloquaient le passage , frappant avec les griffes et les crocs . Les épines s’enfonçaient dans mon épiderme , les tigres épaisses résistaient . Echec , échec . Mais bataillant vaillamment , je continuais mon travail détestable , sans grand succès . Les spinelles étaient fortes et résistantes , comme tout ce qui a des épines dans le monde floral d’ailleurs . Hoquetant , je me retournais pour prendre mon souffle , les pattes mêlées dans de longues vrilles végétales . Je mes mordis a pleine gueule , coupant certaines , desserrant d’autres pour me libérer . Faisant un écart pour éviter une énorme vrille aiguisée , je me retrouvais en plein air , le vent calmant mes blessures , tentant de coaguler le sang . Oppressée , je m’écroulais , constatant avec la plus grande des surprises que les alentours étaient vides . Le vent soufflais a mon insu m’empêchant de sentir les odeurs alentours . Je grognais , rendue nerveuse par cette situation ou j’angoissais a en mourir , calculait comme je le pouvais la distance qui me séparais des cachettes ou un humain pourrait se blottir . Trop loin pour pouvoir couper ma fuite . Je soupirais brièvement , avant d’allonger les antérieurs devant moi , tachant d’enlever une a une , les épines plus ou moins grosses qui avaient crevé bon nombre de veines . L’odeur acre du sang inhibait l’air , se mêlant a celle de mon effroi , bien plus ténue . Après avoir ôté la plus grande partie des éperons verdâtres , je léchais les blessures qu’ils avaient occasionné , remarquant au même moment , un étrange paquet a mes cotés . Tendant le nez , j’humais l’air avec appréhension … et curiosité . Cela sentait la viande , et les mains de l’humaine . Je grinçais des dents , dardant un regard anxieux aux alentours . Non rien . L’intérieur de la boite sentait bon . Je débattis un court instant , avant d’y plonger le nez , attrapant le papier qui soutenait la boite , et détalais avec . On est jamais trop prudent . Je cavalais un bon moment , de sorte a me trouver de l’autre coté du lac , près de l’eau mais loin du pont et de sorte a pouvoir l’avoir dans mon champ de vision en permanence . ainsi , l’humain me verrait mais je le verrais avant . Astucieux . après avoir longuement toisé le paquet , je lui donnais un coup de patte , indécise et curieuse . Le papier cartonné se renversa dans un bruit de déchirure , libérant une pluie de petits gâteaux a l’odeur appétissante . Je les remuais du bout des griffes , avant d’en attraper un . Prudente , j’attendis , puis mordis dedans . C’était tout simplement délicieux . Mon estomac gargouilla , enthousiaste , et je ne mis pas longtemps a manger gaiement les friandises , fouillant même dans l’herbe et le paquet a la recherche d’une miette en vadrouille . C’était la première fois que je mangeais une douceur de la sorte .

Silencieuse , je passais doucement ma langue sur les parties de mon corps que je pouvais attendre , lissant les poils de mes antérieurs avec lenteur , avant d’effleurer mon nez d’un coup habile . Que faire ? Je ne savais pas vraiment . Partir ? Pour aller ou ? J’aimais cet endroit . C’était mon petit paradis , l’endroit ou je vivais en rêve , celui ou il n’y avait ni chiens ni cris . Juste cette humaine . Mais elle ne s’approchais pas trop . Pourtant , tant qu’elle resterait dans les parages , je ne pourrais pas m’ébattre la conscience tranquille .
Ouvrant la gueule , je soupirais , dardant mes prunelles ardentes sur les alentours . Les battements frénétiques & chaotiques de mon cœur s’étaient clamés , j’étais toujours en attendre , prête a partir a fond de train si l’humaine surgissait , mais cette fois , j’avais une marge de manœuvre . Elle était seule , lente , sur deux pattes malhabiles et sans collier ou laisse pour m’attacher . Avant qu’elle ne puisse faire trois mètres , je serais déjà a l’autre bout du lac , et plus loin encore . La peur me donnait des ailes .
Posant la tête sur le sol , je m détendis un peu , les oreilles dressés et la truffe en éveil , ne voulant surtout pas me faire surprendre . Les yeux fermés , j’attendis , les odeurs de viande séchée se mêlant a selle du trèfle ou je me lovais en longueur . Le temps passa , nonchalant , avant que je ne puise entendre le pas de l’humaine sur le pont . Relevant aussitôt la tête , je la vis venir vers moi . D’un bond , je fus debout , les muscles tendus , prêts a détaler au moindre pas de trop . Au moment ou je me préparais a jaillir , tel un diable de sa boite , et disparaître définitivement , elle s’arrêta , tirant de sa poche la même boite que j’avais dévorée quelques temps plus tôt . Inconsciemment , je levais les oreilles , effleurant mes postérieurs d’un mouvement bref que la queue . Des gâteaux ?
Elle posa le paquet a terre , fis trois pas en arrière et s’arrêta , de dos . Trop près . Poussant un couinement aigu et bref , je me jetais a terre , l’arrière main en l’air , passant du paquet a l’humaine , émettant une série de sons brefs et autoritaires , comme un chien enfermé dans une chambre , qui a entendu la sonnette et qui couine pour sortir . Je restais ainsi un bon moment , implorant mentalement l’humaine de s’éloigner encore . Elle ne bougea pas . Mes yeux passèrent d’elle a son paquet . Je me redressais , les oreilles en avant , et trottinais vers le pont , tête basse , ne quittant pas l’humaine des yeux . Puis je m’arrêtais , a quelques pas du pont , aussi raide et droite qu’un i , perplexe . Que faire ? Courbant l’encolure , je poussais de nouveau un jappement bref , reculant d’un pas , comme si je voulais jouer , que je l’invitais a venir . Alors que mes prières étaient destinées au paquet de gâteaux

Totalement inconsciente de sa douleur , je me laissais tomber sur le sol herbeux en un bruit discret , la tête entre mes pattes . Je n’aurais jamais cru pouvoir agir ainsi quelques heures plus tôt . M’approcher aussi près , volontairement , était un véritable miracle , pour celui qui m’aurait connu . Mais je n’attendais pas de récompense . Je ne savais même pas ce que j’attendais . Me précipiter ainsi pour de la nourriture n’était pas mon genre , était ce cette soudaine liberté qui me poussait ainsi ? je l’ignorais .
Effleurant l’herbe de ma queue soyeuse , j relevais une oreille quand l’humaine s’approcha , tendant de nouveau mon corps , prête a bondir . Mais elle se contenta d’emmetre de drôles de bruits , son visage inondé par de l’eau a l’odeur salée . Je relevais la tête , la langue pendante , m’interrogeant sur le goût que cela devait avoir . J’avais l’étrange envie d’y goûter , car comme tous les chiens j’adorais le sel . Mais c’était un humain , et je réprimais cette envie .
L’humaine poussa donc le paquet dans ma direction , et je bondis vers lui , l’attrapant aussitôt , pour détaler avec , le papier entre mes crocs . Celui ci , trop déchiré , se fissura complètement et déversa son contenu sur plusieurs mètres . Agacée , je baissais le nez , et me mis a les manger a même le sol , ne cherchant même pas a les rassembler , trottinant d’une croquette a l’autre . Totalement rassasiée , je boudais le reste , égrainé de ci de la dans l’herbe , et m’affalais sous un petit arbre au feuillage épais , gardant l’humaine dans mon champ de vision . Sa joie semblait avoir été remplacée par de la mélancolie . Je baissais les oreilles , interrogative .